Bernard de Vos était l’invité dans Matin Première ce jeudi 26 avril 2012


Retranscription de l’interview avec Bernard de Vos du jeudi 26 avril 2012

- Ecoutez l’interview en cliquant ici

- BH : Bonjour Bernard De Vos.

- BDV : Bonjour.

- BH : Avoir 20 ans en 2012, Matin Première s’associe à cette journée organisée par la RTBF. Bernard De Vos, vous êtes délégué général aux droits de l’enfant mais vous avez été éducateur et vous avez dirigé, dans votre vie professionnelle, plusieurs associations d’aide à la jeunesse. Alors, première question : est-ce que vous avez l’impression, Bernard De Vos, de vivre dans un pays qui respecte ses jeunes, qui leur offre un avenir et qui met tout en place pour rendre ses jeunes autonomes ?

- BDV : Si vous le permettez, je voudrais d’abord vous remercier de l’invitation et surtout me féliciter que la RTBF engage une journée aujourd’hui, hors actualité dramatique, sur la question des jeunes. Avec l’accident dramatique de Sierre, avec la tuerie de Toulouse, j’ai parfois eu un drôle de sentiment que, à l’occasion de ces évènements dramatiques, les médias et l’opinion publique découvraient finalement la fragilité de ces enfants et de ces jeunes, et c’est vrai que, parfois, moi, j’ai le sentiment, puisque mon institution est effectivement chargée de représenter et de défendre les droits de l’enfant, j’ai parfois un sentiment un peu schizophrène : on se rend compte que nos enfants et nos jeunes sont vraiment l’essentiel de notre société dans des situations dramatiques. Et donc, moi, tous les jours, j’ai parfois un peu de mal à faire passer des idées de défense et de protection des enfants.

- BH : Et donc de contexte très passionné aussi, notamment de faits de délinquance, etc. Ici, le but était bien de parler de la jeunesse et des perspectives en dehors de tout cela.

- BDV : Tout à fait, je m’en réjouis vraiment. Donc, effectivement, j’ai parfois le sentiment que la protection, la défense des enfants est parfois difficile à faire, hors actualité, et c’est vrai que c’est important d’avoir ces moments hors urgence, hors actualité pour parler de façon concrète et claire des questions de jeunesse.

- BH : Et donc, pour revenir à cette question : est-ce qu’aujourd’hui, on vit dans un pays qui respecte ses jeunes ?

- BDV : Non, je pense vraiment qu’à de nombreux égards, on peut vraiment améliorer la situation, qu’on parle de la situation dans l’enseignement, de l’école, situation très très importante aujourd’hui. Mon institution, depuis 20 ans, qui répond à des plaintes, à des questions de citoyens à propos de l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant et des droits de l’enfant en général : le hit-parade un peu lugubre des plaintes, des questions, c’étaient les questions familiales, pendant 20 ans pratiquement.

- BH : Donc, maltraitance, etc., c’est ça qu’on entend par là ?

- BDV : Voilà, tout à fait : maltraitances intrafamiliales, abus, etc. Aujourd’hui, et même si ces questions de maltraitance restent très présentes et il faut rester extrêmement vigilant, aujourd’hui, ce sont les questions scolaires qui constituent le motif de saisine principal de mon institution, et ce n’est pas anodin.

- BH : Donc ça a changé. En quelques années, la situation a vraiment changé.

- BDV : Oui, et je pense franchement que tous les intervenants, sans aucune critique par rapport à ceux qui, au quotidien, font un travail de grande qualité. Les enseignants, les directeurs, les pédagogues font vraiment un maximum de ce qu’ils peuvent faire mais, aujourd’hui, on peut constater que l’état des relations, par exemple au sein des écoles, est déplorable à tous niveaux et que les enfants en souffrent véritablement. Et c’est un domaine parmi tant d’autres : on sait, par exemple, que les ravages de la pauvreté, qui concerne tout le monde, a des conséquences terribles. J’ai remis, il y a quelques années, un rapport thématique sur les incidences et les conséquences de la pauvreté. Je dois vous avouer qu’après avoir tenu un discours relativement bonhomme, je disais que la Belgique n’était pas le pire élève en matière de respect des droits de l’enfant, je disais que nous n’étions pas un pays barbare, pas une république bananière. Aujourd’hui, quand on voit les ravages de la pauvreté, je peux dire aujourd’hui quand même très clairement qu’il n’y a pas un seul article de cette belle Convention qui défend les droits de l’enfant qui résiste à l’épreuve de la pauvreté. Quand on parle de soins de santé, on sait qu’aujourd’hui encore, il y a des enfants qui sont obligés de plisser les yeux à l’arrière des classes parce que les parents ne sont pas en mesure de leur payer des lunettes. Le droit à l’enseignement, le droit à la culture, le droit aux loisirs ; ce sont des droits compromis tous les jours.

- BH : On va revenir sur quelques points importants parce qu’on ne va pas pouvoir tout brosser mais est-ce que vous avez l’impression, c’est ce que j’entends dans votre discours, que la situation s’est dégradée ces dernières années ou pas ?

- BDV : Oui, je pense que la situation s’est dégradée pour les enfants et les jeunes, comme je pense qu’elle s’est dégradée pour la société en général. Je pense qu’il faut évidemment considérer que les jeunes ont des particularités mais ils font partie d’une société, et donc cette société, effectivement, est en difficulté aujourd’hui. Les enfants n’ont aucun pouvoir, ils n’ont ni pouvoir électif ni pouvoir législatif, aucun pouvoir économique, pas de pouvoir médiatique -et on sait combien il est important-, donc ils vivent dans une société, ils subissent une série de conséquences et parfois avec des accents particuliers.

- BH : Alors, vous pointiez l’école, c’est en tout cas une de vos tâches principales en tant que délégué aux droits de l’enfant : vous recevez beaucoup de plaintes qui concernent le monde de l’école. C’est quoi le problème ? C’est la ségrégation quasi sociale, le fait qu’il y a peu de mixité parce que, quand on parle de l’école depuis plusieurs années maintenant, le thème dominant, c’est la mixité sociale avec, notamment, le décret inscriptions, etc. Ça n’évolue pas ?

- BDV : Je crois que ça évolue beaucoup trop lentement mais c’est une école, finalement, qui a peu évolué au cours des années et qui a du mal à s’adapter à l’évolution de notre société. Quand on voit l’évolution fulgurante des familles, en 10 ou 15 ans : aujourd’hui, quand on parle d’une famille, on parle bien entendu encore de papa, maman et deux ou trois enfants, mais ce sont aussi des familles monoparentales, ce sont des familles recomposées, la pluriparentalité. Et à côté de ça, l’école, on a l’impression que, alors qu’aujourd’hui l’ensemble des contenus pédagogiques se trouvent en deux coups de clic sur Internet, on a l’impression que l’école n’a pas fort évolué. Et de nouveau, il n’y a aucune critique par rapport à ceux qui la font au quotidien, c’est un système extrêmement lourd et, évidemment, la responsabilité politique de le réformer en profondeur est extrêmement difficile. Mais aujourd’hui, c’est encore une école de la compétition, alors que je pense qu’on devrait rentrer dans une logique de solidarité. C’est une école qui exclut, qui relègue très régulièrement ; c’est une école qui cote, qui étalonne des enfants entre eux ; c’est une école qui n’arrive pas à offrir un tronc commun, qui travaille encore sur le redoublement, sur la mise en échec ; c’est une école qui n’arrive pas à avoir un socle d’enseignement polytechnique, qui ne valorise pas, d’un côté, les apprentissages intellectuels et, de l’autre côté, les apprentissages professionnels pour ceux qui ont été considérés parfois trop vite comme étant incapables d’avoir accès à des matières intellectuelles, à l’humanisme, etc. Donc je pense vraiment que là, il y a une réforme profonde à engager, et je sais qu’elle est difficile mais nous avons, notamment dans les grandes villes, une opportunité incroyable. Avec la démographie un peu galopante, les nouvelles écoles qu’on va créer, au moins que celles-là puissent montrer la voie de dire " il y a moyen de faire autrement dans l’intérêt supérieur des enfants ".

- BH : Comment est-ce que vous expliquez qu’il y a si peu d’évolution dans le monde de l’école ? C’est vrai que si vous êtes jeune aujourd’hui, d’un quartier difficile de Bruxelles, et que vous vous inscrivez dans une école proche de chez vous, vous risquez la relégation. Comment ça se fait que ça change si lentement, voire que ça se renforce ?

- BDV : Je vous avoue que ça m’inquiète véritablement. C’est vrai qu’on a beau imaginer les meilleurs projets pédagogiques, on a beau imaginer d’engager les professionnels les plus qualifiés, améliorer leur formation ; si on les met en situation de devoir gérer toute la misère du monde dans un lieu clos, évidemment, c’est extrêmement compliqué. Et donc, je pense que c’est vrai que mon combat pour la mixité sociale, et je dirais plus pour l’inclusion véritable, je pense que ce qu’il faut dire aujourd’hui, c’est que l’école doit accepter toutes les différences, non seulement les différences culturelles ou de nationalité mais aussi faire en sorte que les enfants qui souffrent de handicaps particuliers, qui ont des besoins spécifiques, puissent aussi être intégrés dans des écoles pour tout le monde, justement pour ouvrir à la différence et faire en sorte que cette différence ne soit pas un handicap mais une force pour l’apprentissage des enfants. Et je pense que là, on a un chemin énorme à faire et qu’il se fait très lentement, mais il se fait.

- BH : Alors, comme on l’a dit, on l’a brossé un petit peu au début, il y a toute la problématique de la jeunesse et de son lien, c’est ça qu’on va interroger maintenant, avec la délinquance. On sait qu’il y a des faits divers qui interviennent de temps à autre dans l’actualité et qui reposent très fort cette question : est-ce qu’il y a un lien, statistique au moins, qu’on peut mettre en avant entre jeunesse et délinquance, Bernard De Vos ?

- BDV : Alors deux éléments. Le premier, c’est rappeler que, dans l’histoire de l’humanité, chaque génération a toujours estimé que la génération qui suit est plus délinquante, plus agressive, plus irrespectueuse. Et donc, ça, c’est dans l’histoire de l’humanité. On a retrouvé des fragments de vases babyloniens qui datent de bien longtemps avant Jésus-Christ et qui disaient " les jeunes d’aujourd’hui sont pourris jusqu’à la moelle ". Enfin, je vais dire, on le sait et ça a toujours existé. Et puis, à côté de cela, les statistiques, malheureusement, ça démontre l’activité des forces de police et rien d’autre. Ma conception, en tout cas, c’est que rien ne laisse entrevoir aujourd’hui qu’il y ait une explosion de violence et je pense que, parfois, il y a des glissements. On sait qu’aujourd’hui, on est plutôt dans un domaine, un registre des incivilités. Vous disiez tout à l’heure que moi, j’ai travaillé pendant longtemps avec des jeunes, j’ai connu les bandes de punks, de skinheads, etc., dont la violence était extrême. J’ai vu des gamins ou des jeunes rentrer avec des haches plantées dans la tête, etc., ça date d’il y a 30 ans. Aujourd’hui, je pense effectivement qu’on a une société peut-être plus agressive, peut-être plus violente, il suffit de voir la façon dont les adultes se comportent dans la circulation automobile. Donc il y a effectivement un climat peut-être violent lié au fait qu’on est tous tendus par une crise économique, une crise morale importante et, forcément, les jeunes, de nouveau, je le rappelle, les jeunes n’ont pas de pouvoir, ils sont à l’image, ils ne peuvent pas être plus mauvais, plus violents, plus délinquants, plus agressifs que la société qui les engendre ; ils sont à l’image.

- BH : Oui. Pour terminer cet entretien, vous disiez tout à l’heure : " les jeunes n’ont pas vraiment accès aux médias ", et en même temps, on a l’impression qu’on vit dans une société qui promeut le jeunisme quasi à tout prix. Est-ce qu’il n’y a pas là un paradoxe ?

- BDV : Si, il y a un paradoxe terrible évidemment : dites à quelqu’un " Mon Dieu, il me semble que tu as rajeuni ", ce sera pris comme un compliment à tous les coups. Mais si, à l’opposé, effectivement, vous regardez la situation des jeunes aujourd’hui, la situation concrète : effectivement, il y a un paradoxe que, moi, j’ai du mal à analyser mais qui est bien réel. D’un côté, on aimerait bien être comme eux, être aussi jeune, aussi dynamique ; et à côté de ça, les excès de leur jeunesse, parfois, sont très très vite stigmatisés et de façon éhontée.

- BH : Merci, Bernard De Vos.

- BDV : Avec plaisir.





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Billet d'humeur

NEET : le néant n’a pas d’avenir

Contraction de l’expression anglaise Not in Education, Employment or Training (ni étudiant, ni employé, ni stagiaire), l’acronyme NEET désigne les jeunes de 15-34 ans, célibataires, qui vivent chez leurs parents, ne travaillent pas et ne recherchent pas d’emploi.
Vous imaginez aisément que, sans projet de vie, le jeune NEET n’a pas des dizaines de perspectives à long terme : on perçoit aisément les difficultés qui vont commencer à se présenter graduellement si le jeune ne parvient pas à sortir de ce « statut » qui
n’en est pas un. Les instituts de statistiques et les gouvernements ont commencé à s’intéresser à ce phénomène des NEET, car les autres données (telles que le taux du chômage ou le pourcentage de réussite des études ou même des échecs) ne rendent absolument pas pleinement compte de la situation des jeunes. Sans entrer dans les détails, on sait que la proportion de NEET chez nos jeunes a une furieuse
tendance à augmenter.
Les équipes de SOS Jeunes – Quartier Libre connaissent bien cet engrenage qui fait, petit à petit, qu’un sorti de l’école s’enlise. Plus de formation, pas d’emploi, pas de stage, il se replie sur lui et se démotive. On en vient ensuite à la dégradation de sa propre image et à la désaffiliation. On se doit d’agir en amont afin d’éviter de tomber dans l’engrenage des NEET. Parce que le néant n’a pas, soyons honnête, beaucoup d’avenir. Le projet « Un jour, demain ! », de notre Antenne ixelloise Quartier Libre, vise notamment à informer les jeunes de ce qui est possible après l’école. Il s’adresse à un public particulier qui est constitué de jeunes de sixième année de l’enseignement spécial. Que se passe-t-il après l’école ? Comment entrer dans la vie active ? Un DVD reprend des témoignages d’aînés, connus des jeunes, qui racontent leur parcours… Une série de témoignages qui doivent permettre aux jeunes de prendre leur propre envol, une fois l’école quittée.

Amicalement à vous !

1er janvier 2019